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Le marché immobilier peine à redémarrer. Quel bilan dressez-vous de l'action des derniers gouvernements?
Pascal Boulanger - Président de la Fédération des promoteurs immobiliers de France (FPI).
Nous souffrons depuis qu'Emmanuel Macron est au pouvoir. Il était convaincu que le logement était trop cher et que nous en étions responsables. Un exemple ? Un conseiller pour les affaires économiques de Matignon pensait que la marge nette d'un promoteur sur une opération était en moyenne de 30 %. En réalité, elle est de l'ordre de 5 %. Impossible de baisser les prix: sous les 5 %, les banques ne nous suivent pas. Nous n'avons pas pu faire entendre raison aux différents Premiers ministres avant la dissolution. Bruno Le Maire a reconnu que l'équipe gouvernementale s'était “plantée” sur le logement, particulièrement sur le neuf. Le problème, c'est que les politiques qui ne nous voulaient pas du bien étaient alors majoritaires et ceux qui voulaient nous
aider n'avaient pas de majorité. Avec Michel Barnier, nous avons obtenu l'extension du prêt à taux zéro et la disposition sur les donations. François Bayrou a compris notre message. Et sûrement Sébastien Lecornu. Malgré cela, le marché ne repart pas. Les chiffres du premier semestre 2025 oscillent entre catastrophiques et cataclysmiques. Dans une année normale, nous construisons 160000 logements dont 25 % pour les bailleurs sociaux, généralement sans marge. En 2025, nous n'atteindrons pas 80000. Le nombre d'investisseurs particuliers est, lui, divisé par 6,3.
Emmanuel Macron avait effectivement pour objectif de faire baisser les prix. Est-il arrivé à ses fins?
Loïc Cantin - Président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim).
Ce n'est pas Emmanuel Macron qui a fait baisser les prix, c'est la Banque centrale européenne (BCE). Quand elle
a augmenté ses taux, cela a réduit la capacité d'emprunt des ménages et cela a eu un effet mécanique sur les prix. L'ancien n'a pas besoin d'intervention publique pour se réguler : c'est l'arbitrage entre les vendeurs et les acheteurs. Le parc immobilier est un écosystème, dépendant de l'environnement économique, bancaire et fiscal, qui s'ajuste par lui-même. Emmanuel Macron a réussi à détruire le peu de confiance qui restait dans l'investissement immobilier, notamment dans le locatif, en considérant, comme il l'a dit en mai 2023, que l'immobilier, ce sont des « surdépenses publiques pour de l'inefficacité collective ». Je rappelle que la fiscalité du logement rapporte à l'État, toutes recettes confondues, 95 milliards d'euros. Plus que l'impôt sur le revenu (93 milliards). S'il fallait noter le mandat d'Emmanuel Macron sur sa réussite à accompagner le marché du logement, la note serait bien mauvaise !
DE BONS SIGNES...
Peut-on espérer avoir une fin d'année correcte ou l'incertitude pèse-telle de nouveau sur le marché?
Charles Marinakis - Président de Century 21 France.
Au dernier trimestre 2024, le marché a retrouvé une dynamique avec un rééquilibrage prix-taux. Nous avons bien terminé l'année et l'activité au premier semestre 2025 est bonne, avec des volumes en croissance de 12 à 14 %. Les prix se sont ajustés, c'était une absolue nécessité. Pour l'instant, le marché tient. Mais pour combien de temps? J'ai l'impression que les Français neutralisent l'aspect politique : s'ils ont un projet immobilier et qu'ils ont la capacité de le financer, ils le réalisent. Aujourd'hui, nous attendons la nomination du nouveau ministre du Logement. Valérie Létard faisait l'unanimité; nous espérons qu'elle sera maintenue, sinon ce sera le cinquième changement en quatre ans. Notre crainte est que le prochain gouvernement engage une politique économique qui fasse monter l'inflation, et mécaniquement les taux.
Norbert Fanchon - Président- directeur général de Gambetta
C'est le moment idéal pour investir dans l'immobilier! Avec des taux de crédit encore sous les 3,5 %, une pénurie de logements neufs et des contraintes croissantes sur la location dans l'existant, la demande locative explose. Résultat : les loyers grimpent, les locataires restent plus longtemps et, paradoxalement, la crise actuelle booste la rentabilité de l'investissement immobilier.
Dorothée de Varine-Bohan - Présidente de Patrimoine locatif.
Les investisseurs ont compris que cette pierre dite “liquide” offre une excellente rentabilité, en particulier pour les petites surfaces, est facilement transmissible à un tiers ou à une nouvelle entité juridique si de meilleures dispositions fiscales arrivent. Elle se révèle un rempart important en temps de crise ainsi qu'une alternative complémentaire nécessaire à la retraite de plus en plus incertaine, surtout pour la jeune génération.
Thibault de Saint Vincent - Président de Barnes
Après deux années difficiles, le marché immobilier haut de gamme a repris des couleurs en 2025, notamment à Paris et dans les grandes destinations françaises. Chez Barnes,
nous enregistrons, en 2025, une hausse de 28 % des transactions par rapport à 2024. Septembre fut même, en France, le meilleur mois depuis la création de Barnes, avec plus de 22 ventes flashs (conclues en moins de quarante-huit heures). Cette dynamique repose sur trois facteurs : les taux revenus à un niveau raisonnable, autour de 3 %, contre près de 5 % en 2023, l'attractivité intacte de la France. Les grandes fortunes mondiales tiennent à avoir un pied-à-terre à Paris, sur la Côte d'Azur ou dans les Alpes — et l'exonération de la plus-value sur la résidence principale, qui reste un moteur puissant du marché domestique.
...MAIS ENCORE DE SÉRIEUSES MENACES
Les tensions qu'on a observées sur le marché obligataire se répercutent-elles déjà sur les taux d'emprunt immobilier?
Caroline Arnould - Directrice générale de Cafpi.
Les taux ont baissé depuis janvier pour atteindre un plancher sous les 3 %. Ils sont remontés en moyenne à 3,2 % sur 20 ans. Les marchés ont anticipé la dégradation de la note de la France et une chute du gouvernement. La hausse actuelle résulte d'un rattrapage de marges bancaires. En cas de dissolution suivie de
l'arrivée d'un gouvernement moins rigoureux budgétairement, cela provoquera une hausse de l'OAT 10 ans. Cependant, dans des périodes de tensions politiques et géopolitiques internationales, l'immobilier reste une valeur refuge et une priorité pour les jeunes.
Sébastien Kuperfis - Président de Junot
Je le constate avec une hausse de 156 % des demandes depuis le 1erjanvier par rapport à 2024 et de 35 % des volumes. Cela confirme qu'il y a une mithridatisation de la société : chaque année, les Français prennent le poison d'une nouvelle taxe, d'une dissolution... mais ils ont toujours des projets. Notre métier est dirigé par les taux d'intérêt: tant qu'ils sont d'un niveau normal, l'activité est bonne. J'observe justement que la part des “golden primo-accédants” est passée de 15 à 29 % en trois ans. La raison? Les personnes qui ont acheté à un taux de 1 % et à un prix supérieur de 10 % à celui d'aujourd'hui n'ont pas intérêt à vendre. En revanche, les “golden primo-accédants” qui ont de beaux emplois et qui sont aidés par leurs parents se disent qu'avec un taux à 3 %, acheter est une bonne affaire.
Dorothée de Varine-Bohan
Dans l'investissement locatif, je vois en effet de plus en plus de jeunes de moins de 30 ans, diplômés, pas forcément propriétaires de leur résidence principale, qui investissent dans de petites surfaces. Certains de mes clients possèdent déjà deux ou trois appartements. Ils ont très peu d'apport, mais les banques leur déroulent le tapis rouge en leur
prêtant à 25 ans.
Qui, parmi les politiques, propose des solutions pour résoudre la crise du logement ?
Pascal Boulanger
La question mérite d'être retournée. C'est à nous de proposer aux politiques des solutions et c'est à eux d'en disposer. Je fais beaucoup d'auditions parlementaires, ce sujet du logement les mobilise tous. La grande majorité d'entre eux partage notre constat et nos pistes de solution quand je leur présente les chiffres du marché. Amélie de Montchalin [ministre démissionnaire chargée des Comptes publics, NDLR] est plutôt d'accord avec la proposition de créer un statut de bailleur privé. Contrairement au premier mandat présidentiel d'Emmanuel Macron où quasiment personne n'était concerné par la crise du logement, depuis deux ans, tous les partis semblent converger, en dehors de LFI, pour imposer une réforme en faveur des bailleurs privés.
Loïc Cantin
Il est regrettable qu'il y ait si peu de députés compétents en matière de logement. Il faut remarquer que, si l'Assemblée nationale s'est dotée de groupes de compétences sur des sujets divers, le sujet logement ne la mobilise pas pour autant. Le groupe logement précédemment présidé par LFI ne s'est jamais réuni. Aujourd'hui présidé par un député socialiste du Sud-Ouest, celui-ci ne s'est pas plus réuni alors que le logement, cause nationale, est devenu l'une des premières préoccupations des Français... Pourtant, c'est une belle occasion d'entendre les corps intermédiaires et de se ressourcer auprès de la société civile qui n'est malheureusement pas entendue.
Qui décide réellement de la politique du logement?
Pascal Boulanger
Les décisions importantes sont prises à Bercy. Les gouvernements considèrent que le vrai ministère du Logement, c'est Bercy, et que le ministère qui porte le nom de Logement s'occupe de ceux qui ne parviennent pas à se loger.
Dorothée de Varine-Bohan
J'ajoute que nos gouvernants ont une vision macroéconomique du secteur et non pas microéconomique. On ne peut pas mélanger les besoins des promoteurs avec ceux des agents immobiliers, le logement social avec le marché haut de gamme. Il faut dissocier chaque sous-secteur et apporter des réponses appropriées.
Sébastien Kuperfis
La réponse que l'État apporte aujourd'hui, c'est plus de socialisme, plus d'intervention de l'État. Seul le parti Reconquête ! a fait des propositions libérales de nature à déréguler le marché. À quel moment prendra t-on conscience que l'interventionnisme étatique ne fonctionne pas ? Il manque une vision libérale. Regardons ce qui se passe ailleurs et qui fonctionne. Le marché de l'immobilier à Buenos Aires a été complètement dérégulé, l'encadrement des loyers a été supprimé, les prix ont baissé et l'offre a augmenté de 180 %.
Norbert Fanchon
Vous parlez des travaux parlementaires et des programmes présidentiels, mais vous oubliez que ce sont les maires, les premiers décideurs de programmes résidentiels. La perspective des élections municipales, l'an prochain, est un enjeu. C'est ce qui déterminera s'il y aura de nouveaux permis de construire ou non. Certes, il y a la politique d'Emmanuel Macron, mais il y a aussi l'absence des maires dans le discours du “il faut construire”. On peut bâtir des logements, mais il faut créer de la richesse.
Je n'ai entendu aucun maire prendre position sur ce sujet aujourd'hui. Tant qu'on reste dans cette théorie de la décroissance qui vient du sommet de l'État, mais aussi des maires, peut-on espérer un sursaut ? Peut-on souhaiter que les maires ayant instauré la régulation des loyers dans les métropoles puissent changer de politique l'année prochaine ? Cela permettrait de relancer l'investissement locatif, de redonner confiance aux investisseurs et nous donnerait de nouveaux projets.
Charles Marinakis
Au-delà de la question des maires bâtisseurs, qui sont souvent des maires ralentisseurs, nonobstant les orientations politiques, il doit y avoir une structure qui englobe toute la diversité du logement pour répondre aux problématiques d'aménagement du territoire, de démographie — en 2044, nous serons 70 millions de Français —, d'économie. Pour toutes ces raisons, je ne comprends pas que le ministère du Logement ne devienne pas un ministère régalien. Je voudrais rappeler que le premier poste dans le budget des ménages, c'est le logement. Il représente 30 à 35 % de leurs dépenses, qu'ils soient locataires ou propriétaires. Le logement n'est pas un instrument de spéculation, c'est un lieu de vie. Est-il plus civique d'investir en Bourse ou dans le parc locatif pour loger des Français ?
HEUREUX COMME “EMILY IN PARIS”
Paris se vide de ses habitants historiques. Qui sont les étrangers qui achètent en masse ?
Charles-Marie Jottras - Président de Féau
Parmi nos acheteurs étrangers, 35 % sont américains. Plus on monte en gamme, plus les étrangers sont présents. Au-delà de 5 millions d'euros, la clientèle étrangère représente plus de 35 % des ventes, mais cette clientèle étrangère se fixe essentiellement dans les VIe, VIIe et VIIIe arrondissements et dans le Marais. Sur le marché du haut de gamme, il semblerait que la clientèle soit immunisée contre l'instabilité politique, les gouvernements successifs, les dissolutions...
Sébastien Kuperfis
Nous observons actuellement une montée en puissance de la clientèle asiatique, des Chinois qui habitent à Singapour, à Hong Kong, à Taïwan, qui, au vu des tensions géopolitiques, sont heureux d'investir en France. L'attractivité de la France reste intacte...
Caroline Arnould
Une séquence Nouveau Front populaire (NFP) impacterait fortement les marchés obligataires, et de fait, elle ferait sombrer le marché immobilier.
Sébastien Kuperfis
Tant que le NFP ne prend pas le pouvoir, les gens estiment que c'est business as usual... Et si le Rassemblement national parvenait au pouvoir?
Thibault de Saint Vincent
Il faudrait qu'il clarifie son programme économique pour rassurer les investisseurs.
HARO SUR LES RESIDENCES SECONDAIRES
L'an dernier, 40 % des communes ont adopté la surtaxe sur les résidences secondaires... Quel est l'effet sur ce marché?
Loïc Cantin
Une enquête Ifop a révélé que 72 % des jeunes voulaient devenir propriétaires. Avec des taux d'intérêt bas, il est intéressant d'acheter, ne serait-ce que parce qu'il est essentiel d'avoir un toit au-dessus de la tête au moment de la retraite. On ne peut pas cumuler petite retraite et coût du logement élevé. Emprunter à 3,5 %, c'est une part d'intérêt qui est extrêmement faible par rapport au capital à rembourser.
Sébastien Kuperfis
Cette surtaxe est franchement scandaleuse. Là encore, on est dans l'idéologie totale. Les maires pensent financer le train de vie de leur commune sur le dos des riches propriétaires de résidence secondaire. En Belgique, un projet de taxe similaire a été censuré par la Cour constitutionnelle. Il serait bon de se poser la même question en France.
Thibault de Saint Vincent
Le marché des résidences secondaires n'a pas redémarré: les prix post-Covid restent élevés et la surtaxe appliquée par certaines communes décourage une partie des acquéreurs. Or, ces résidences soutiennent l'économie locale; les taxer davantage affaiblit l'attractivité des territoires.
LE SPECTRE DE LA TAXE ZUCMAN
On reparle d'exil fiscal avec le spectre de la taxe Zucman. Avez vous déjà des clients tentés de quitter la France?
Charles-Marie Jottras
Entre 1981 et 2017, quasi chaque semaine, un dirigeant venait nous voir pour nous confier la vente de sa résidence principale; il venait de vendre son entreprise ou souhaitait la développer... ailleurs. Ce flux s'est tari avec la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et la création de la flat tax, ce qu'aucun président avant Emmanuel Macron — rendons à César... —n'avait osé faire. Depuis 2017 les seuls “partants” sont ceux qui refusent que leurs enfants aient à payer 45 % en droits de succession sur un patrimoine qui représente le travail d'une vie. Ils partent donc en Italie, où ces droits sont divisés par 10 et qui est beaucoup plus business friendly pour les entrepreneurs. Bien sûr, la taxe Zucman serait une catastrophe pour l'emploi et la création de richesses en France.
Thibault de Saint Vincent
Je ne constate pas de départs massifs liés à la taxe Zucman. Ceux qui auraient pu être directement concernés sont partis depuis longtemps. Mais cette hypothèse suscite beaucoup de questions et installe un climat de défiance. C'est une taxe irréaliste et contre-productive: au moment où le marché a besoin de confiance, on ajoute de l'incertitude. Que demandez-vous au futur gouvernement ?
Loïc Cantin
Je doute que le prochain Premier ministre inverse la vision immobilière d'Emmanuel Macron. Depuis 2017, tous les ingrédients ont été réunis pour détruire ce marché: création de l'impôt sur la fortune immobilière (Ifi), contraintes énergétiques (1,1 million de logements seront déclarés indécents au 1er janvier 2028), avantages fiscaux détournant une partie de la location vide vers le meublé. À Paris, la part des locations meublées est passée de 14 à 29 % et, dans les grandes villes, de 6,4 à 14 %. Voilà
la réalité d'un marché qui ne répond plus aux besoins. En plus, l'État fait preuve d'hypocrisie : en commission mixte paritaire, tous les Airbnb déjà inscrits avec des DPE F et G ont été exonérés jusqu'au 1erjanvier 2034 ! C'est compter sans le spectre de l'encadrement des loyers qui revient, ce qui porterait le coup de grâce définitif à l'immobilier. Sans recul politique, nous courons à la catastrophe.
Charles-Marie Jottras
Le logement est le terrain rêvé pour les réglementations pleines de bonnes intentions qui se retournent contre ceux que l'on dit vouloir protéger. Regardez l'accumulation des contraintes sur le marché locatif parisien : l'encadrement des loyers, le DPE, la loi SRU, la hausse de la fiscalité... Sur les appartements familiaux, entre l'impôt sur le revenu
au taux marginal sur les revenus fonciers, les cotisations sociales, l'Ifi et la contribution “exceptionnelle” sur les hauts revenus, aucun investisseur ne peut espérer un rendement positif. Résultat, l'offre locative pour ce type de logement est tout simplement nulle.
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